Topic 7190543

DH//543 Re://T7190 [Gane/Gobi/MinH/Taur/Ushi/Wald/Ysay - Nuitéesl] post. 19-07-06 17:39:25

© photo Kumori No Mizu Montage Digital

 

Nuitées

543 Re://T7190 [Gane/Gobi/MinH/Taur/Ushi/Wald/Ysay - Nuitéesl] post. 19-07-06 17:39:25

Une fois sortis de l'eau, une fois les idées replacées, les liens scellés, les aveux partagés, les vêtements séchés, les passeports récupérés, ils se disent bonne nuit - mais c'est temporaire - et entreprennent cette partie plus intérieure de leur séjour qui se passera de quatre heures de la nuit, comme on voit poindre dans une extrémité du ciel les tissus de l'aube urbaine, jusque vers les midis: les nuitées. On croit qu'elles ne servent essentiellement qu'à dormir, mais on n'y dort que consciemment. Ce qui a été entrepris dans les allers-retours discrets de la terrasse au lobby, et du lobby aux chambres, continue en marge du réel. Or dans les faits, cette marge devient plus réelle quoique moins assujettie aux déplacements physiques - on parle de ce réel augmenté qui advient hors des lieux physiques. Ça dormira un peu partout, en cohabitation avec les autres qui nourrissent leur repos dans une léthargie réglée selon les lois de la normalité.

543 Re://T7190 [Gane/Gobi/MinH/Taur/Ushi/Wald/Ysay - Nuitéesl] post. 19-07-06 17:41:13

Simplement qu'elle n'est pas assujettie, comme tu dis, aux règlements de la vie concrète. Ce n'est pas encore la débauche - d'ailleurs celle-ci n'aura pas lieu. Si elle doit advenir, ce sera en dehors de la fiction qui se trame dans l'infrastructure subtile en ce début de nuitée. Pour l'un l'entrée dans le monde se passera sur l'oreiller, pour d'autres, sur des divans, ou un hamac, dans cet endroit au bout du parking qui longe la route et qu'on croyait hors du cadastre de l'hôtel. Ils sont deux ou trois dans ce coin, qui dorment sur des monticules de vêtements. Dans cette vie qui prend la place de la vie fatigante de la pensée, les lits s'improvisent, et les corps aussi. Le garçon qui remplaçait le préposé à la réception est le seul individu dans cet espace recomposé qui conserve ses attributs de base.

543 Re://T7190 [Gane/Gobi/MinH/Taur/Ushi/Wald/Ysay - Nuitéesl] post. 19-07-06 17:42:57

J'étais sur une banquise brûlante, en train de suivre une conversation identique à un delta, dans cette baie des noirceurs. Si je fermais les yeux, les cieux étaient verts, mais en les rouvrant j'entendais les arguments de trois clients qui discutaient musique. Leurs jambes pendaient au rythme d'un blues qui sortait d'un transistor audible seulement pour notre petit groupe, qui semblait cacher dans son délabrement un sans-abri à moitié mort, en tout cas inconscient, et qui promettait de le rester jusqu'à la fin de cette nuitée, elle-même sortie du carcan de la temporalité. On semble pouvoir déterminer par soi-même la durée de ces nuits, même si en ce début juillet elles sont réputées courtes et fuyantes. Nous sommes plus longs qu'elles, plus stables.

543 Re://T7190 [Gane/Gobi/MinH/Taur/Ushi/Wald/Ysay - Nuitéesl] post. 19-07-06 17:44:28

Toutes les connaissances qu'il a acquises au cours de ces soirées d'apprentissages à discuter avec des clients internationaux font de lui quelqu'un de fort occupé au plan du métabolisme mental. Il essaie de s'adapter à la torpeur des autres hommes qui dorment en faisant semblant de dormir, mais chaque tentative le place dans un cadre extérieur à lui-même, lui qui a déjà du mal à se tailler un espace physiquement viable dans l'espace qui lui est alloué au naturel. Il fait ce qu'on lui dit de faire mais comme la plupart s'en remettent à la sagesse des nuitées, aussi bien dire que ce qu'il fait, de manière extérieurement perceptible, se résume à pas grand-chose. Il apprend vite et bien. Si quelqu'un passe, il se déchausse, se blottit dans un fauteuil recouvert d'une housse, allonge ses membres comme une tarentule fatiguée d'œuvrer, et fait, lui aussi, semblant de dormir.

543 Re://T7190 [Gane/Gobi/MinH/Taur/Ushi/Wald/Ysay - Nuitéesl] post. 19-07-06 17:46:00

Il a ajouté une fantaisie à son attirail de plombier, une cravate, à la demande d'un des clients fatigué de le voir en chemise comme un compromis entre tout et rien sur sa peau. Sinon, on remarque une certaine sagesse parmi les éveillés de ces nuitées, dans le silence qu'on respecte à présent, les radios éteintes, et les surfaces immobiles. Tous se comportent dans une réserve inhérente à leur statut de vices-présidents de compagnies japonaises, ou d'hommes d'affaires, ou d'actionnaires, qui savent les lois du civisme même quand ils abordent cette dimension de leur vie où les lois leur permettraient pourtant de se défoncer littéralement dans une liberté carnassière. On pense qu'ils y pensent, mais qu'ils réservent leur ouverture à cet instinct pour plus tard.

543 Re://T7190 [Gane/Gobi/MinH/Taur/Ushi/Wald/Ysay - Nuitéesl] post. 19-07-06 17:47:33

C'est qu'ils sont intégrés dans cette dimension autre que le temps et l'espace, et donc difficile d'accès quand on reste vivant, où le réceptacle du présent les habite pleinement, en harmonie parfaite avec l'ambiance où ils logent. Il est vrai qu'ils gardent à leur conscience les repères traditionnels, ce qui se trouve à gauche et à droite, mais avec une connaissance accrue de ce qui se trame en leur présence sous leurs pieds et sur leurs têtes. Ils n'ont pas besoin de se toucher pour s'interpénétrer. Au loin, des éclats de voix en colère se font perceptibles, mais ils les ignorent dans une indifférence volontaire, presque pro-active, qui renforce l'état d'être qui voisine l'anticipation du moment inconnu, exaltant, qui n'adviendra peut-être pas mais qu'importe.

543 Re://T7190 [Gane/Gobi/MinH/Taur/Ushi/Wald/Ysay - Nuitéesl] post. 19-07-06 17:50:12

Dormir en faisant semblant de dormir est une grâce accompagnatrice des nuitées pour que celles-ci ne deviennent pas excessives, et donc contraire à leur raison d'être. Il faudrait à la limite que le jour puisse se lever à l'insu des hommes couchés. Ils restent habillés, ou semi-vêtus, pour ne pas avoir l'impression qu'ils se sont absentés selon les conventions strictes des nuits humaines: on abaisse des stores pour les relever à la toute fin d'une absence mentale (et souvent dépourvue de rêves) qui aura correspondu à des fonctions suspendues par un interrupteur de courant. L'être humain n'est pas un ordi mais a une tendance crasse à l'oublier. Je parle bien entendu des êtres humains qui ne font pas une religion de l'intelligence informatique en expliquant la leur par l'avènement d'une technologie qui a été conçue par leurs semblables. Ceux qui adhèrent à ça sont des exaltés, des illuminés, des dynamiques naturelles qui ont besoin de huit heures de sommeil, au sens propre, et surtout pas au sens des nuitées.